Lettre du Pape François

De la Lettre du Pape François aux participants au XIXe Congrès  International de Droit Pénal et du  IIIe  Congrès de l’Association Latin-Américaine de Droit Pénal et de Criminologie.  (Au Vatican, le 30 mai 14)

 

le calvaire de Pleyben

le calvaire de Pleyben

« Dans nos sociétés, nous tendons à penser que les délits se résolvent lorsque l’on capture et condamne le délinquant, en continuant son chemin devant les dommages provoqués ou sans prêter suffisamment attention à la situation dans laquelle se retrouvent les victimes. Mais ce serait une erreur d’identifier la réparation uniquement avec la punition, de confondre la justice avec la vengeance, ce qui ne contribuerait qu’à accroître la violence, même institutionnalisée. L’expérience nous montre que souvent, l’augmentation et le renforcement des peines ne résolvent pas les problèmes sociaux, et ne réussissent pas non plus à faire diminuer les taux de criminalité. En outre, cela peut engendrer de graves problèmes pour la société, comme celui des prisons surpeuplées, et des personnes détenues sans condamnation… Combien de fois a-t-on vu le coupable expier sa peine de façon objective, en purgeant sa peine sans toutefois changer intérieurement, ni être guéri des blessures de son cœur?

À ce propos, les moyens de communication, dans leur exercice légitime de la liberté de presse, jouent un rôle très important et ont une grande responsabilité: c’est à eux d’informer correctement et non de contribuer à susciter l’alarme ou la panique sociale lorsque sont rapportées des nouvelles de délits. Ce sont la vie et la dignité des personnes qui sont en jeu, qui ne peuvent devenir des cas publicitaires, souvent même morbides, condamnant les présumés coupables au mépris social avant qu’ils soient jugés, ou en forçant les victimes, pour alimenter la presse à sensation, à revivre publiquement la douleur éprouvée. »

le bon larron

le bon larron

« Si le délinquant n’est pas suffisamment aidé, s’il ne lui est pas offert une occasion de se convertir, il finit par être victime du système. Il est nécessaire de faire justice, mais la véritable justice ne se contente pas simplement de punir le coupable. Il faut aller au-delà et faire le possible pour corriger, améliorer et éduquer l’homme afin qu’il mûrisse à tous les points de vue, de façon à ce qu’il ne se décourage pas, qu’il affronte le dommage provoqué et qu’il réussisse à reconstruire sa vie sans être écrasé par le poids de ses misères. Un modèle biblique de confession est celui du bon larron, auquel Jésus promet le paradis parce qu’il a été capable de reconnaître son erreur: «Pour nous, c’est justice, nous payons nos actes; mais lui n’a rien fait de mal» (Lc 23, 41). (…)

Souvent, la délinquance plonge ses racines dans les inégalités économiques et sociales, dans les réseaux de la corruption et dans le crime organisé, qui cherchent des complices chez les plus puissants et des victimes chez les plus vulnérables. Pour prévenir ce fléau, il ne suffit pas d’avoir des lois justes, il faut former des personnes responsables et capables de les mettre en pratique. Une société soutenue uniquement par les règles du marché et qui crée de fausses attentes et des besoins superflus, écarte ceux qui ne sont pas à la hauteur et empêche ceux qui restent en arrière, les faibles ou les moins doués, de se faire un chemin dans la vie (cf. Evangelii gaudium, n. 209). »

le fils prodigue

le fils prodigue

« La contrition est la porte du repentir, c’est la voie privilégiée qui conduit au cœur de Dieu, qui nous accueille et nous donne une autre occasion, à condition que nous nous ouvrions à la vérité de la pénitence et que nous nous laissions transformer par sa miséricorde. C’est de celle-ci que nous parle l’Ecriture Sainte lorsqu’elle décrit l’attitude du Bon Pasteur, qui laisse les quatre-vingt-dix-neuf brebis qui n’ont pas besoin de ses soins et part à la recherche de celle égarée et perdue (cf. Jn 10, 1-15; Lc 15, 4-7), ou celle du bon Père, qui accueille son plus jeune fils sans récrimination et en le pardonnant (cf. Lc 15, 11-32). L’épisode de la femme adultère est également significatif, à laquelle Jésus dit: «Va, désormais ne pèche plus» (Jn 8, 11). Et il fait allusion en même temps au Père commun, qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes (cf. Mt 5, 45). Jésus invite ses disciples à être miséricordieux, à faire le bien à qui leur fait du mal, à prier pour leurs ennemis, à tendre l’autre joue, et à ne pas avoir de ressentiment…

la femme adultère

la femme adultère

L’attitude de Dieu, qui devancera toujours l’homme pécheur en lui offrant son pardon, se présente comme une justice supérieure, dans le même temps équitable et miséricordieuse, sans qu’il n’y ait de contradiction entre ces deux aspects. En effet, le pardon n’élimine ni ne diminue l’exigence de la correction, propre à la justice, et n’élimine pas non plus le besoin de conversion personnelle, mais va au-delà, en tentant de rétablir les rapports et de réintégrer les personnes dans la société. Il me semble que c’est ici que réside le grand défi, qui nous devons affronter tous ensemble, afin que les mesures adoptées contre le mal ne se contentent pas de réprimer, de dissuader et d’isoler ceux qui l’ont provoqué; mais les aident également à réfléchir, à parcourir les chemins du bien, à être des personnes authentiques qui, loin de leurs propres misères, deviennent elles-mêmes miséricordieuses. C’est pourquoi l’Eglise propose une justice humanisante, authentiquement réconciliatrice, une justice qui conduise le délinquant, à travers un chemin d’éducation et de pénitence courageuse, à la réhabilitation et à la pleine réinsertion dans la communauté.

(…) C’est en cela que réside la différence entre une société qui inclut et une société qui exclut, qui ne place pas au centre la personne humaine et qui se débarrasse des rebuts qui ne lui servent plus.

(…) Seigneur Jésus (…) au cours des jours de sa vie terrestre, fut arrêté et condamné injustement à mort et s’identifia avec tous les détenus, coupables et non coupables («prisonnier et vous êtes venus me voir», Mt 25, 36). Il descendit également sur les ténèbres créées par le mal et par le péché de l’homme pour y apporter la lumière d’une justice qui ennoblit et exalte, en vue d’annoncer la Bonne Nouvelle du salut et de la conversion. »